Laurent Colomb                              

 
 
 

Boîte de coffret

Théâtrographie

Boîte de coffret I Intentions d’écriture

A travers ce texte, j'ai tenté de me faire le témoin - en termes d'éponge et de filtre - de ces mutations étranges qui, touchant notre époque, contrarient nos repères éthiques. Trois phénomènes de société sont abordés, qui ont subi en peu de temps des transformations importantes propres à modifier la perception positive que nous avions du progrès. La médecine, le sexe et la guerre représentent ces champs d'activités humaines où l'on constate un retard de la pensée sur le geste, décalage rendu palpable par des réactions de malaise chronique. Loin de chercher à moraliser, assainir ou purifier les pratiques nouvelles qui agitent ces trois domaines d'activités, j'ai choisi de dire la rapidité foudroyante avec laquelle elle envahissent notre paysage collectif, fécondant en silence un projet d'humanité.


Patchwork de mots-icônes et d'expression imagées, le texte rend compte du caractère amalgamant de ce scénario catastrophe qui infiltre notre psychologie collective, liant mercantilisme biologique, nouveaux appétits sexuels et violence guerrière. Chacun des personnages édifie dans sa langue un aspect de cette forme composite, incorporant sa part de désir et de terreur dans un programme global. En progressant par imbrication-dissolution des quêtes individuelles, une narration "gigogne" est à l'œuvre, autrement dit un juxtaposé d'univers géographiques, de situations temporelles et de langues différentes. Procédant par contamination, une polyphonie s'installe peu à peu, accentuant de ce fait une écoute plurielle.


La mise en page - elle-même - témoigne d'un certain nombre de va et vient : entre passages dialogués et passages polyphoniques, synopsis dramatiques et remarques phonétiques, excluant de ce fait tout regard frontal. Très concrètement, elle réfléchit une démarche pédagogique où typographies, couleurs et sous-ensembles textuels conjuguent une partition pour voix et corps, à même de renseigner sur la théâtralité du texte. À travers un dispositif didascalique à plusieurs niveaux, je tente en effet de relativiser la portée dramatique et sonore d'une langue à première vue incohérente, appuyé par le désir de rendre à la voix sa puissance d'ébranlement. Car s'il existe une dimension fondamentale qui accrédite l'emploi d'un tel sabir, c'est bien celle de la voix, ici explorée dans ses extrémités corporelles.


À vrai dire, c'est l'ensemble des répliques (dialoguées ou polyphoniques) qu'il s'agira d'interpréter sous un angle gestuel, la circulation des personnages en action dans l'espace composant un petit marathon de conduites chorégraphiques éphémères. L'aberration de certaine répliques "bruitistes" - ou n'ayant a priori aucun sens - renvoyant de facto à une pantomime, une signification sera à même de s'installer graduellement. Par le biais du grotesque, du caricaturale et de l'absurde, nous traverserons le vaste panorama de cette ère nouvelle qui inquiète nos définitions identitaires. Au delà d'une dénonciation critique des virages de la modernité, il s'agit aussi d'un voyage "en surface", strié de jointures sombres et de joyeux renflements, où perleront ça et là - dans une langue martienne - des promesses sucrées et épouvantables. À l'état d'embryon où se trouve le projet scénique, c'est la figure du monstrueux qui l'emporte (ce corps tortueux et complexe qui disparut au siècle dernier de nos foires) au moment où le lent travail du progrès pour tous piste impitoyablement et éradique partout le dissemblable. 



Laurent Colomb. Avril 2004

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