Laurent Colomb
Manifeste pour une mise-en-scène
Trop de représentations servent de prétextes à de fausses messes.
Nous appellerons cérémonie du théâtre, l'acte qui consacrera les formes vivantes sur les formes inertes,
l'acte qui privilégiera l'apparaître au paraître, l'acte qui tiendra compte de ce qui s'en va comme de ce qui vient, l'acte qui parviendra à rendre visible l'invisible dans ses transformations et ses déplacements, l'acte qui délivrera enfin le spectateur de son impuissance à croire.
Nous voulons par l'esprit de la bouche et par l'accord des sons avec eux-mêmes revivifier la fibre du mot.
Avant et au dessous de la compréhension intellectuelle, nous voulons remuer à la source les structures profondes du langage, que résonnent ses accents primitifs.
L'explosion et la recomposition de la matière écrite, construite par agglomération et montage d'éléments disparates, traduisent les états successifs d'une pensée en marche.
En dévoilant les sentiers que cette pensée emprunte, il est possible de refaire le trajet même de son apparition.
En supposant que tous ses sentiers se croisent, nous rendons effective l'ouverture au jeu d'une multitude de significations différentes et d'associations possibles.
Contre une logique de l'esprit claire ou de la conscience connaissante, nous voulons prêter au langage l'intelligibilité de la musique, lui conférer autant de pouvoir qu'un geste de scène.
Envisager le mot comme un acte de parole, sera le présenter avant tout comme une expression orale, perçue par l'ouïe, chargé d'un nouveau pouvoir de dramatisation lié à l'intonation.
En dynamisant la langue, en rompant son uniformité, en métissant sa forme, en faisant coexister plusieurs "registres" de voix, il est possible d'engendrer de nouveaux rapports dialogiques.
En développant un langage bruitiste à base de sons inaccoutumés, nous concevrons celui-ci comme une activité autonome et mobile.
Enfin, en libérant le mot de l'épaisseur du signe linguistique, nous lui attribuerons une valeur communicative autonome.
Parce qu'elle part de la nécessite de parole, cette écriture se doit d'être indissociable de l'acte théâtrale. Aussi tout fragment du discours sera mis au service d'un dynamisme gestuel.
En investissant la dimension sonore et déclamatoire du verbe
nous pouvons rendre efficace sa puissance d'ébranlement.
En prenant appui sur le corps physique de l'acteur, nous retrouverons la relation originelle et perdue des mots aux nerfs qui leurs ont donné naissance.
En faisant du muscle le pouls du corps en déplacement, nous le
libérerons de sa pesanteur par l'énergie du souffle.
L'espace sera la matière de la pièce et cette matière sera en mouvement.
En éprouvant les limites du lieu scénique, nous prendrons le corps comme un moyen de dessiner l'espace, d'arpenter ses frontières, de sorte qu'il n'éprouve sa mobilité que par les bords, sur les bords.
A travers l'inévitable retour périodique de ses migrations, nous renverrons l'isolement de l'acteur à l'ubiquité de son état et l'espace, rendu cohérent par la démonstration dynamique de son opacité, à l'énigme de sa vraisemblance.
Face à ce corps suspendu dans un espace en perpétuelle définition, nous percevrons la puissance agissante qui le traverse et nous nous approprierons les mirages qu'elle contient.
Juin 1995
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