Laurent Colomb                              

 

Biographie

« 13 Questions à un auteur »

                               

Scène

1. Pouvez-vous évoquer ce qui déclenche généralement votre travail d’écriture ?


J’écris pour comprendre les hommes et à travers eux me connaître un peu mieux. J’en déduis assez vite que nous sommes de grands caméléons qui agissons par mimétisme dont le langage parlé est l’expression terminale.


2.  Dans votre travail, comment vous situez-vous par rapport aux mots suivants : Émotions / Fiction / Représentation du réel / Sens / Histoire / Personnage /Situation ?


Il est fondamentale pour moi de restituer cet état complexe qu’est l’émotion laquelle s’accompagne généralement d’une série de modifications physiologiques, indices de notre présence au monde ; présence hallucinante de nature à nous faire douter de la réalité des choses au point de soupçonner intuitivement que l’imaginaire leur préexiste… Quant au Sens ? Il est avant tout synonyme de parcours que l’on effectuerait à travers les fibres d’une histoire non nécessairement vraisemblable mais encapuchonnée d’émotions violentes. À la notion de Personnage répondrait une forme identitaire habitée de langages, à celle de Situation, la valeur d’un croisement individuel.


3. Qu’est ce que pour vous que la particularité de l’écriture théâtrale ?


Vivante virtuellement, elle est dirigée en premier lieu vers l’acteur qui sera le souffle de sa langue – lui-même respirant par la bouche –, de telle sorte que l’inspiration première précédera l’expiration seconde en un va-et-vient du fantôme du texte à son présent souffle.


4. Qu’est-ce qu’une langue théâtrale pour vous ?


Elle prendra en compte la notion de territoire, sera proférée en un lieu dont elle délimitera les contours, probablement modifiables. Autant d’entrée/sortie dans la langue dont les limites rendues friables dessineront les frontières d’un milieu idéal arpenté sur ses bords. D’où le besoin d’écrire pour un corps en marche, balayant de ses gestes la surface du sol.


5. Avez-vous une image du système théâtral pour lequel vous écrivez ? et si oui lequel ?


A priori, non. Mais il existe un système en amont de l’écriture, basé sur le rapport texte-représentation. Si c’est ce système dont il s’agit, il est constitué chez moi d’une série de passerelles (phonétiques, prosodiques et communicationnels), tissant comme une toile médiatique à destination de l’acteur. Soucieux de m’inscrire au plus près du temps de la représentation face à laquelle j’ai anticipé un certain nombre de conduites, je m’efforce de prendre en compte les réalités physiques de ce système en ménageant des alcôves didascaliques pour actionner les corps.


6.  Avez-vous en tête des images concrètes d’une représentation possible au moment de l’écriture ?


Elles jaillissent épisodiquement, sont parfois explicites, souvent motivées par l’aspect plastique du document écrit. À cet effet j’accorde une certaine importance à la forme « spectaculaire » de celui-ci, dont l’organisation et l’assemblage des divers fragments qui le composent doivent parler au yeux.


7.  Aujourd’hui la fable n’est plus au centre des écritures théâtrales, néanmoins qu’est ce qui relève de l’action ou de la dynamique dans vos pièces ?


Action et dynamique sont liés au langage, aux gestes que le texte présuppose dans un espace privé de signes avant tout. Aussi, les déplacements reposeront sur la charge physique des répliques capables d’alphabétiser l’espace, comme sur les motivations des personnages en quête de silhouettes humaines.


8.  Fournissez vous le mode d’utilisation de vos textes ? Pourquoi et comment ?


Les alcôves didascaliques que j’ai mentionné plus tôt composent une ruche pédagogique riche d’informations de toute sorte. Elles calligraphient le rapport de l’acteur à la langue du texte détaillé sous un angle phonique. S’exerçant à déborder des limites traditionnellement admises du sens, il est invité à redécouvrir ses capacités d’expression vocale et expérimenter d’autres rapports au jeu. Onomatopées,  glossolalies et chants s’agencent parfois en polyphonie dans la page qui prend alors valeur de partition.


9. Comment pensez-vous la situation économique des auteurs d’aujourd’hui et que pensez-vous du mouvement actuel de mobilisation des auteurs pour revendiquer une autre place dans la production ?


À condition que cette action ne débouche pas sur une forme de complaisance, elle est utile. Dans une logique de confrontation artistique, elle serait même plutôt vivifiante si elle engageait les auteurs à s’interroger sur la spécificité théâtrale de leur écriture. Sans doute, ces débats nivelleraient l’horizon des textes de scène, faussement vallonné par les auteurs de livres.


10. Quel sens a pour vous le passage de l’écriture à la scène ?


Une ablation et une naissance, tout à la fois.


11. Assistez-vous au travail de répétition, avec quelles fonctions désirées et/ou accordées ?


Formateur en techniques vocales et comédien, je mets volontiers mes compétences au service des acteurs et participe au travail de plateau.


12.  Quelles fonctions donnez-vous aux acteurs qui « portent » vos textes ?


Celles de ne jamais laisser croire aux spectateurs qu’ils exercent un « métier ».



13. Quelles responsabilités vous donnez-vous face au spectateur ?


Celles de troubler ses sens, de mettre à mal ses convictions personnelles, de lui faire douter enfin de sa langue qu’il estime être l’expression fidèle de sa pensée.


« 13 questions à un auteur », posées par l’équipe d’Opening Nights (Théâtre A. Vitez, Aix-en-Pce), en amont d’une rencontre sur les écritures contemporaines. Université de Provence, du 26 au 28 nov. 2004.