Laurent Colomb                              

 

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Voice is gesture I Article

Voice is gesture

Voix

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Chicken-troy rassemble sous la forme d’un recueil de dialogues vifs et comiques deux personnages en rapport dominant/dominé autour d’une vision idéalisée du corps. Une langue artificielle constituée d’emprunts au vocabulaire du culturisme oriente cette perception prototypée, coordonnée à un programme de développement personnel. Constitué de néologismes à connotations anatomiques et pseudo-zen et de vire-langues particulièrement éprouvantes à prononcer, le texte s’apparente en définitive à une partition athlétique vocale. C’est pourquoi il est écrit pour la scène.


Chicken-troy s’inscrit dans la logique d’une réflexion personnelle fondée sur la représentation corporelle de la voix et sur la question de l’organicité dans la langue. Entre 2005 et 2006, cette réflexion s’est associée à une immersion dans le monde du bodybuilding au plus près des réalités de cet univers. En fréquentant un club de sport plusieurs mois et en feuilletant la presse spécialisée, j’ai constaté une certaine adéquation entre le jargon utilisé dans cette activité et l’activité elle-même, comme si la spécificité de cette langue (très inventive dans ses catalogues d’équipements) reposait sur sa capacité à mobiliser dans sa prononciation un maximum de muscles faciaux et à les pousser au maximum de leur capacité.


La Voix est un geste (extrait)

                                                                            «L’homme est un tuyau sonore, l’homme est un roseau parlant»

Gaston Bachelard, L’Air et les songes


Une brève analyse des formes du langage fitness à la lumière des récentes et moins récentes découvertes en ethnolinguistique, psycholinguistique et psychophonie pour une lecture orientée de Chicken-troy.


Partout, la volonté de maîtrise


L’extrême mobilité de la mâchoire inférieure - notamment sur son axe horizontal - combinée à la souplesse de l’orbiculaire des lèvres (couronne musculaire qui entoure la bouche), intéresse précisément une représentation symbolique du contrôle de soi. On sait que ces anneaux de resserrement et de relâchement musculaires que représentent les lèvres et la mâchoire peuvent faire l’objet d’une tonicité anormale, de contractions involontaires dans l’acte de phonation, exprimant de façon plus ou moins flagrante l’état de tension psychologique d’un locuteur. Je renvois aux travaux de Wilhelm Reich (La Cuirasse caractérielle), de Paul Moses (Voice of Neurosis) ou encore de Marie-Louise Aucher (L’Homme sonore), qui pressentirent au milieu du Xxe siècle la dimension auto-repressive inconsciente de ces comportements vocaux artificiels. Prototype de la clôture et de la percée, la bouche focalise ces manœuvres comportementales d’infirmation ou d’affirmation du sujet.


« La Voix est un geste », in Cahiers de poétique, N°12, ed. CICEP-Univ. de Paris VIII, 2007 et Parole #1 : The Body of the Voice / Stimmkörper, éd. Stahmer, Cologne, 2009