Laurent Colomb                              

 
 
 

Parle, je te dirai qui tu es


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Parle, je te dirai qui tu es I Extrait de l’article

Le Polygraphe ou Détecteur de mensonge

La Machine à dire vrai


    Sous l'effet d'une sortie comme par un pur effet du hasard, la voix survient, découle (s'exile ?) du corps d'autrui, repère l'humanité en tant que telle, scelle un peuple par sa langue, un individu par son timbre et trahit le vécu immédiat de son psychisme. Elle s'impose donc comme un cachet, une signature qui vient parfaire, souvent parachever l'idée singulière qu'on se fait d'une personne. Certains phoniatres n'hésitent pas à comparer son étude à un exercice graphologique, la répétition fréquente de traits phonétiques (occlusion, accent, traînage…) constituant un premier indice d’identification. Analogiquement, on observe le battement cardiaque, la tension et certains gestes réflexes au détecteur de mensonge, dont l’Amérique a recours depuis 1921. Jusqu’à deux millions de personnes par an furent interrogées sur cet instrument de chasse aux sorcières avant qu’une commission de l’Académie des sciences n’infléchisse son utilisation en statuant sur son absence de fiabilité. Du détecteur de peur au détecteur d’amour, il n’y a qu’un pas que la société israélienne Nemesysco franchit en 1997 sous la forme d’un gadget de consommation courante en version disponible pour PC et lunettes de soleil. Le «Love Detector» peut être schématisé par un petit microphone relié à un boîtier où sont fixées deux ampoules clignotantes (une verte pour vrai, une rouge pour son contraire). Destiné aux gens qui s’aiment mais souhaitent éprouver les sentiments qu’ils ont l’un pour l’autre, cet appareil, apparemment inoffensif, part d’un principe simple : «la voix humaine contient des signaux qui trahissent l'état émotionnel d’un locuteur comme l'intention de tromper.» Dans la tradition du polygraphe, une version élaborée de cet inquisiteur domestique est en vente pour les entreprises désireuses de vérifier l’absentéisme de leurs employés. Ce modèle plus complexe comporte cent vingt-neuf paramètres d’analyse vocale associés à huit cents calculs et accordés à différents niveaux d’émotions comme l’embarras, la concentration, la certitude, l’incertitude et bien entendu le mensonge. Une autre version est à l’étude pour mesurer les effets de la douleur en milieu hospitalier. Il semble que de multiples applications soient envisagées pour cet appareil d’amour qui prétend entre autres identifier les pulsions sexuelles pédophiles. «À travers l’analyse des micro-variations de la voix tracées sur un écran d’ordinateur, nous sommes non seulement capable d’identifier le vrai du faux, mais également une gamme d’émotions s’étendant de l’inquiétude à l’éveil» assure le concepteur de cet engin à tendance sécuritaire, A. Liberman, copié depuis. Seulement, ces traces de la parole, ces «scarifications» comme les aurait appelé F.-B. Mâche - «la voix est la scarification de chacun» - sans doute en référence aux incisions rituelles symboliques, ne dessinent qu’une silhouette humaine, ne percent pas le secret d’un corps. Si nous puisons dans la voix l’équation d’une personnalité c’est parce que précisément, à l’image des ingénieurs de chez Nemesysco, nous en faisons le fait d'une succession pétrifiée de signes, de chiffres et de courbes ; tel qu'à l'image du cours d'un ruisseau, fluctue le temps pour le sens commun. Or, quand bien même il y aurait double perception, sonore et visuelle, et à chaque instant réajustement, rééquilibre du corps ouï au corps perçu, toute tentative de faire se correspondre voix et personnalité demeure conjoncturelle. «Dès lors que j'hérite de ma voix autant et plus que de l'écriture qui est la mienne, la phonologie vaut bien la graphologie, précise D. Charles. Elle révélera tout autant - c'est-à-dire tout aussi peu - ma personnalité».


Parle, je te dirai qui tu es (extrait), non publié.

Voix